La bande du 9 : La communaut du 9ème art

Ennemi du peuple
 

En 1950, le docteur Fink est arrêté dans son appartement de Prague. Juif, il est accusé d’activités contre-révolutionnaires, condamné sans procès et jeté en prison. Dehors, sa famille n’a plus aucun droit. Pour Jonas, son fils, âgé de 11 ans, débute une longue période sombre. Il n’a pas le droit de poursuivre ses études, doit travailler… L’insouciance de l’enfance lui est interdite. Mais après tout, qu’est ce qu’il y a d’autoriser de l’autre coté du rideau de fer ?
Une dénonciation poignante du système autoritaire stalien. La réédition de le meilleur album à Angoulême en 1995, avant la publication de la très attendue suite. Un chef d’œuvre !
 

Ce matin d’octobre 1950, le docteur Finkel est réveillé par la police. Il ignore ce qu’on lui reproche lorsqu’on l’emmène au poste. La maison est perquisitionnée et sa femme et son fils sont laissés prostrés sur le pas de la porte. La rumeur affirme rapidement que le docteur est un traitre. Il faut dire qu’être juif dans cette Tchécoslovaquie soviétique vous place directement parmi les activistes contre-révolutionnaires. Si la vie du médecin vire au drame, que dire de celle de sa famille! Sa femme est contrainte de vendre tous ses biens et, comme cela ne suffit pas, elle doit déménager dans un appartement miteux. Elle souhaite donner des cours privés mais l’administration lui refuse ce droit et l’envoie à l’usine, avec des horaires impossibles. Jonas, leur fils, n’a pas le droit de poursuivre ses études. Il va de petits boulots en vagues occupations pour finir apprenti sur un chantier de construction. Dans la Prague soviétique, tout est proscrit et l’espionnage est monnaie courante. Pour Jonas, l’insouciance de l’enfance a fait long feu et il doit lutter pour exister. Heureusement il y a la librairie de Monsieur Pinkel et surtout Tatjana…
 
Un chef-d'œuvre !  Et dire que ces albums (il s'agit d'un regroupement de deux albums) ont plus de 20 ans. On comprend mieux qu’ils aient été récompensés par le prix du meilleur album à Angoulême en 1995. Il faut bien avouer qu’il y a tout pour faire un succès : l’histoire tout d’abord, renvoie à notre passé proche. Même si on s’apprête à fêter le 30e anniversaire de la chute du mur de Berlin (l’an prochain), la séparation de l’Europe durant la guerre froide est toujours bien présente dans les esprits. Dans le même temps, on assiste à une montée en puissance, dans les anciens pays de l’Est, d’une forme de nostalgie, mélangée un dangereux nationalisme. Un tel ouvrage a le mérite de présenter la vie dans la Prague des années 50 dans ce qu’elle a de plus ordinaire : l’antisémitisme masqué derrière les idéaux soviétiques, les dysfonctionnements économiques mais surtout l’absence totale de liberté et le système D. Lorsque la petite histoire rejoint la grande… Côté dessin, le trait académique de Vittorio Giardino n’a pas pris une ride. Fortement inspiré de la ligne claire, on sent le dessinateur italien autant à son aise dans la représentation des ruelles praguoises que dans les intérieurs plus ou moins feutrés. Et que dire de la narration! Au contraire d’un Edgar P  Jacobs, Giardino n’utilise que ses dessins et les dialogues pour enchaîner les événements. Les cartouches narratifs sont réduits à leur plus simple expression. Cela rend le récit fluide et très dynamique. C’est d’ailleurs assez surprenant par rapport au dessin.
 
Il aura fallu plus de 20 ans à Vittorio Giardino  pour réaliser une suite à ces deux albums de Jonas Fink. Cette suite qui paraît en janvier (et dont la chronique est à suivre) aura au moins permis aux éditions Casterman de republier les deux premiers opus, désormais introuvables. Pour le lecteur, c’est surtout la possibilité de découvrir, ou de redécouvrir, un des chefs-d’œuvre du 9e art.

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