La bande du 9 : La communaut du 9ème art

Pour rendre hommage aux soldats de la Grande Armée en pleine retraite de la campagne de Russie, rien de mieux que de refaire le même chemin. Les chevaux cèdent leur place à d’antiques side-cars soviétiques mais les changements sont bien plus profonds que cela.
Virgile Dureuil adapte avec beaucoup de justesse l’œuvre d’hommage et de critique sociale de Sylvain Tesson.
 
C'est au cours d'un précédent voyage que Sylvain Tesson a eu cette idée : faire le même trajet que les grognards de la Grande Armée, de Moscou à Paris, en décembre et en side-car ! Il n’en fallait pas plus pour que l'aventurier écrivain ne mobilise son réseau afin de mettre sur pied cette expédition. Il y aura donc le photographe Thomas Goisque et l'écrivain voyageur Cédric Gras. Pour l'aventure, oubliés les chevaux, place à la modernité avec deux antiques side-cars Oural, préparés par Vitali et Vassili; les deux comparses russes prenant également part à l'aventure. Le départ s'effectue sur la place Rouge, sous les dômes byzantins qui ont failli être fatals à Napoléon. Traversant les paysages gelés et enneigés, Sylvain Tesson va imaginer ce qui a été la retraite de Russie, la seule qui mena une armée de victoire en victoire vers son anéantissement total. À travers cinq pays et 4000 km, les aventuriers vont revisiter cette épopée. S'arrêtant à chaque fois qu'une plaque ou un non marquant apparaît, le groupe traverse la mythique Bérézina mais n'oublie jamais de rendre hommage aux soldats passés et présents, tous sont morts pour la patrie...

À travers ses romans, Sylvain Tesson raconte ses extraordinaires voyages et incroyables aventures. Virgile Dureuil avait adapté avec brio Dans les forêts de Sibérie mettant en images les longs mois de l'hiver russe. Dans un prolongement tout russophile, Sylvain Tesson imagine un nouveau voyage autant pour montrer la Russie actuelle que pour rendre hommage aux grognards et commémorer les 200 ans de la campagne de Russie. Il faut dire que si le mot bérézina est entré dans le vocabulaire courant depuis bien longtemps, la plupart des gens ignorent qu’il s’agit d’une bataille napoléonienne. Et une nouvelle fois, Virgile Dureuil relève le défi d’adapter ce road-movie en bande dessinée. Le résultat est extrêmement intéressant. Dès le départ, on comprend le postulat de base : suivre l'itinéraire des soldats de Napoléon et faire une halte partout où l'histoire s’est jouée. C'est ainsi que nous partons d'un Moscou moderne qui n’a plus grand-chose à voir avec les ruines fumantes qu’a quitté l'empereur. On pourrait se dire qu’avec leur side-car soviétique, le trajet sera moins apocalyptique qu'il y a 200 ans. Et pourtant, si les montures sont plus modernes, elles peuvent se montrer aussi rebelles. Si l'équipement est meilleur, le froid reste toujours le pire ennemi. Loin de s'affliger sur son sort, qu'il a préalablement voulu, Sylvain Tesson rend hommage aux soldats. Il prête sa voix à ces milliers d'anonymes qui, pour le prestige de leur empereur et de leur patrie, sont morts aux confins de l'Europe. C'est aussi l'occasion pour Sylvain Tesson de nous donner à voir ce qu'il reste de cette épopée : pas grand-chose ! Et cette critique de notre société est aussi caustique que judicieusement adaptée en BD. Par la suite, Virgile Dureuil fait le choix d'un dessin ultra réaliste. Les images contemporaines et historique se superposant rapidement établissent encore une plus grande connexion entre les deux époques. Et puis, tout doucement, le froid se fait moins mordant, la neige fond et on retrouve les paysages familiers des plaines champenoises avant de terminer ce voyage devant le Panthéon avec une question : qui est vraiment Napoléon ?

Il n'est jamais évident adapter une œuvre personnelle comme celle de Sylvain Tesson. Pourtant, avec ce Bérézina, Virgile Dureuil parvient magistralement à faire vivre ce road-movie, à faire passer les idéaux de l'auteur et à rendre hommage à nos soldats dans un album que je vous recommande.

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