La bande du 9 : La communaut du 9ème art

Erdogan – Le nouveau sultan

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ERDOGAN – Le nouveau sultan

Scénario : CAN DUNDAR
Dessin : ANWAR
Editions : Delcourt / Encrages

Les artistes relatent avec talent le parcours de ce dictateur de sa naissance jusqu’à son arrivée au pouvoir.

L’ouvrage commence en 2021 avec une mise en abyme dans laquelle le journaliste Can DÜNDAR a l’idée d’un roman graphique, et rencontre un autre exilé turc, Mohamed ANWAR qui lui aussi a dû fuir le régime de Recep Tayyip ERDOGAN. Tous les deux sont mus par la volonté d’offrir un ouvrage où tout ce qui est relaté est vrai. Effectivement, face à un régime où la désinformation le dispute aux mensonges factuels voire à des amnésies volontaires, le caractère absolument authentique et documenté leur apparaît la condition sine qua non pour que leur récit soit un témoignage historique et objectif, et que leurs détracteurs ne puissent les taxer de vulgaires propagandistes. Au fil des chapitres, on découvre alors sa famille, son éducation pieuse de la mosquée au lycée religieux jusqu’à sa carrière modeste de footballeur. On apprend également que les figures paternelles ont joué un rôle fondamental dans sa formation, de son père sévère à celui qui apparaît comme un rempart au communisme, Necmettin ERBAKAN, et qui le prendra d’abord sous sa houlette en politique avant de chercher à se débarrasser de ce rival encombrant.

Si ERDOGAN est plein de promesses notamment par ses qualités oratoires et sa piété qui plaît dans les milieux radicaux qu’il côtoie, l’accession au pouvoir ne se fait toutefois pas sans heurts entre élections perdues et emprisonnements. Ses différents mandats seront en outre l’occasion d’exercer son machiavélisme. L’autocrate comprend effectivement qu’il doit s’attirer les faveurs des modérés, et ne pas hérisser les Turcs attachés à la laïcité constitutionnelle alors que sa radicalisation religieuse s’exacerbe. De même, ce roman graphique nous montre comment ERDOGAN a su exploiter la liberté d’expression pour la revendiquer quand il était dans l’opposition et la museler arrivé au pouvoir. Son cynisme apparaît vertigineux puisque s’il prend la voie des urnes, c’est pour mieux exercer un pouvoir ne souffrant aucune opposition ; sa déclaration « La démocratie, pour nous, n’est pas un but, c’est un moyen. » est à cet égard glaçante.

Cet ouvrage intelligent permet aux néophytes de découvrir des aspects d’ERDOGAN que le grand public à l’étranger ne pouvait qu’ignorer. Si parfois le roman graphique est exigeant de par le nombre élevé de personnages gravitant autour du personnage éponyme, on suit le cheminement de cet homme qui a su renoncer - du moins en partie, et en apparence - à ses idéaux religieux intégristes pour mieux conquérir le pouvoir et le monopoliser grâce à un culte de la personnalité, et au verrouillage de toute opposition. Celui que les Occidentaux pensaient voir incarner un Islam des Lumières a finalement réussi à tromper son monde pour mieux régner avec ses affidés en bafouant la laïcité fondamentale de la Turquie. Le chapitrage chronologique et le trait fin d’ANWAR nous permettent de comprendre toutes les arcanes du pouvoir despotique qu’ERDOGAN a patiemment mis en place.