La bande du 9 : La communaut du 9ème art

C'est dans la collection « Noctambule » que les éditions Soleil publient ce curieux récit du scénariste et dessinateur Gani Jakupi, intitulé "Le Serpent à deux têtes". Le scénario s’appuie sur des événements réels, l'étrange histoire de deux hommes, le valeureux guerrier nommé M'rrangoureuk et William Buckley évadé d'un bagne anglais. Deux destinées qui vont se rencontrer jusqu'à se confondre. Un quiproquo magique et mystique savamment orchestré, un témoignage poignant et documenté sur cette période peu connue des occidentaux qu'est la colonisation de l'Australie. Un véritable coup de cœur.

M'rrangoureuk est un valeureux guerrier aborigène, il sait se distinguer par son intrépidité et fait la fierté de son peuple. Malheureusement un jour, pendant un combat alors que sa tribu luttait farouchement, il reçoit un coup fatal, un coup lâche, porté par-derrière. Malgré sa mort, les guerriers de son clan finissent par remporter la victoire. Arraché à la vie M'rrangoureuk sera enterré sur le lieu même où il est tombé. Les siens y plantèrent le bout de sa lance en prenant soin de déposer des victuailles afin qu'il puisse amorcer son chemin vers le pays des esprits. La tribu parcourue de vaste étendu au gré des chasses jusqu'au jour où ils se retrouvèrent de nouveau près de sa sépulture. C'est en ces lieux, alors qu'ils passaient près de hautes herbes, qu'ils découvrirent un homme qui avait tout du cadavre tenant dans sa main la lance de M'rrangoureuk. Comme si ce dernier avait traversé le monde des esprits pour retrouver sa tribu.
Ainsi commence le premier des quatre chapitres qui composent cet album inspiré de l'histoire véritable de William Buckley évadé du bagne de la Nouvelle-Galles du Sud, la future Australie, et qui a vécu pendant 32 ans parmi les Aborigènes.

Dans ce récit singulier découpé en quatre chapitres, Gani Jakupi nous présente successivement ses protagonistes. Nous suivons successivement l'histoire de M'rrangoureuk le valeureux guerrier, puis celle de William Buckley, un bagnard désespérément en quête de liberté, pour finalement nous conduire sur ce qui les lient, nous donnant une vue d'ensemble de ces deux destins croisés qui finissent même par s'entremêler. Une histoire prenante basée sur un fait réel, (mais comme il l'explique dans un dossier de 12 pages clôturant l'ouvrage, il n'a pu que s'en inspirer, compte tenu des difficultés à prouver la véracité de certains éléments.), où l'auteur parvient à retranscrire avec brio, deux visions issues de monde au us et coutumes en totale opposition. Avec "Le serpent à deux têtes", il nous propose un récit très habité, mystique tant par le déroulé du scénario que par ses choix picturaux. C'est un magnifique roman graphique avec des dessins telles des peintures à l'aquarelle, à la manière d'un carnet de voyage, très adaptés à la vie telle que l'on peut se l'imaginer, dans ce pays qu'est l'Australie à cette époque. Les personnages, dans leur simplicité restent tout de même facilement reconnaissables. Le choix des couleurs quant à lui renforce la dualité entre les deux mondes que William Buckley côtoies. À son l'image, la colorisation est volontairement duale. Ici l'auteur dessinateur utilise une palette de couleur chaude pour les scènes en immersion chez les aborigènes et de couleurs froide lorsque il s'agit de dépeindre le bagne et la partie évasion.

Un savoureux moment de lecture savamment orchestré, un témoignage précieux, poignant et documenté sur ces moments charnières où deux mondes rigoureusement opposés viennent se heurter pour n'en faire plus qu'un. Un album riche, mystique, à mi-chemin entre légende et réalité qui questionne sur l'histoire, la vie et ses étranges miracles.
Vous l'aurez compris, Le serpent à deux têtes est un véritable coup de cœur que je vous conseille fortement.