Les naufragés de la Méduse
Acheter sur BD FugueScénario : Jean-Sébastien BORDAS et Jean-Christophe DEVENEY
Dessins : Jean-Sébastien BORDAS
Couleurs : Jean-Sébastien BORDAS
Éditions : Casterman
Les Naufragés de la Méduse est une remarquable bande-dessinée retraçant la genèse du tableau célèbre de Théodore GÉRICAULT dans un contexte politique trouble.
Par un procédé cher aux peintres, celui de la mise en abyme, Jean-Sébastien BORDAS et Jean-Christophe DEVENEY nous plongent dans l'histoire de la création du tableau monumental Le Radeau de la Méduse. Alternant les périodes, ils nous font suivre à partir de 1817 le parcours jonché de difficultés de Théodore GÉRICAULT parallèlement à l'expérience traumatisante un an auparavant des rescapés de la Méduse, victimes de l'incurie prétentieuse du commandant CHAUMAREYS. Ce dernier n'est toutefois que le parangon de la bêtise crasse d'un pouvoir qui entend faire table rase de l'héritage de la Révolution française en restaurant des figures d'anciens notables, et qui cherchera par tous les moyens à camoufler ce fait divers assimilable à une affaire d'État. Effectivement, le commandant CHAUMAREYS s'était vu confier la Méduse alors qu'il n'avait pas navigué depuis vingt-cinq ans ; sa fatuité n'égalant que son incompétence, il enchaîna les mauvaises décisions jusqu'à faire échouer la frégate sur un banc de sable, ce qui contraignit près de cent cinquante hommes à se construire une embarcation de misère pour pallier l’insuffisance numérique des chaloupes de sauvetage.
BORDAS et DEVENEY retranscrivent par le prisme de l’œuvre géricaldienne le calvaire de ces hommes qui, durant treize jours, vont lutter contre les éléments et leurs besoins vitaux jusqu'à se livrer à des actes d'anthropophagie. De cette épreuve seuls dix survivront, et GÉRICAULT partira à la recherche de leurs témoignages pour conférer du réel à son œuvre en devenir. Durant trois années, il va multiplier la documentation et les travaux préparatoires comme celui d'une maquette de la Méduse, et achever sa gigantesque œuvre de cinq par sept mètres. Celle-ci, bien qu'accueillie froidement car ne correspondant à l'académisme de l'époque, deviendra rapidement – notamment outre-Manche – une œuvre représentative du romantisme épris de liberté et sévère à l'égard du pouvoir.
Pourtant, les auteurs ne versent pas dans une interprétation univoque de la toile et ne mythifient pas GÉRICAULT, lui qui n'avait rien d'un artiste maudit. Cet artiste, tellement reconnu pour son Radeau de la Méduse qu'il en est méconnu pour sa vie, est décrit comme une âme avide de sincérité tant vis-à-vis de sa relation incestueuse avec sa tante que de son art qu'il percevait comme un devoir de mémoire en même temps qu'un sacerdoce.
Si BORDAS et DEVENEY ne sont pas - loin s'en faut - les premiers à s'intéresser au naufrage de la Méduse et à sa sublimation par GÉRICAULT, leur œuvre est remarquable par le travail de reconstitution historique et par les choix esthétiques. Ainsi, les auteurs se sont inspirés de la construction du tableau géricaldien en proposant, eux aussi, de partir de la gestation de l’œuvre jusqu'à son achèvement à l'instar de la construction pyramidale du Radeau de la Méduse. De même, l'alternance proposée entre planches sombres et lumineuses n'est pas sans évoquer les clairs-obscurs typiques du Radeau de la Méduse tout comme le travail de retranscription du mouvement. Ce faisant, BORDAS et DEVENEY parviennent à nous faire percevoir l'entreprise de transfiguration d'un sordide fait divers en une peinture à la fois artistique et politique. Il faudra toutefois savoir rester concentré au début de l’œuvre pour ne pas s'égarer dans les noms des personnages donnés. Le paratexte présent à la fin de l’ouvrage permettra de prolonger le parcours du chef-d’œuvre de GÉRICAULT.
Lydie et Nicolas
Nicolas
Chroniqueur
La Bande Du 9
