Nom de la série : Betty Boob
Scénario : Véro CAZOT
Dessin : Julie ROCHELEAU
Couleur : Julie ROCHELEAU
Maison d'édtion : Dargaud
Elisabeth a perdu un sein, son emploi et son amoureux. Après une premiere phase d'abattement, elle fait la rencontre d'une troupe d'artistes burlesque qui vont lui redonner confiance en elle et changer son propre regard. Une nouvelle fois, Véro Cazot traite d'un sujet fort mais son ton toujours juste et sa dérision en font une jolie pépite !
Élisabeth se réveille un matin sans son sein gauche. Elle retourne toute sa chambre sans réussir à mettre la main dessus. Il faut que le chirurgien vienne en catastrophe lui donner le bocal avec le précieux téton pour que la jeune femme se souvienne. Atteinte d’un cancer du sein, les médecins lui ont retiré ! C’est alors que son amoureux entre dans la chambre. Face à ce corset déséquilibré, il perd l’équilibre. Si Élisabeth trouve des stratagèmes pour donner le change, elle ne peut rien contre le sentiment d’avoir perdu une part de sa féminité. De retour au travail, Big Sister, sa patronne, lui rappelle que, par contrat, elle doit avoir ses deux seins puis elle la licencie. Peu de temps après, c’est celui qu’elle aime qui l’abandonne. Déboussolée, elle se raccroche à ce qu’elle peut. Et tant pis, c’est une simple perruque ! Pourtant, voilà qu’elle aussi décide de s’envoler ! Immédiatement, Elizabeth part à sa poursuite et elle va finir sur la péniche d’une troupe de spectacle burlesque. Une actrice va lui rendre ses cheveux, un acteur va la consoler, toute la troupe va l’adopter. Ils vont tous transformer sa vie et par là même son regard, et le nôtre, sur la maladie.
Honte à moi ! Rassurez-vous, je ne ressemble en rien à l’immonde amoureux qui a abandonné Élisabeth ! Non, je suis juste passé à côté de Betty Boob lors de sa première parution en 2017 chez Casterman. Pourtant, à y regarder de plus près, je me souviens bien de cette couverture au fort accent des années folles. D’ailleurs, si elle était moins explicite que celle d’aujourd’hui (et encore), elle renvoyait bien plus à la joie. Ok, de la joie, il y en a aussi avec cet immense sourire qui barre ce visage radieux. Et pourtant, l’album s’ouvre sur une scène allégorique des plus terribles : une horde de crabes venant festoyer du sein gauche d’Elisabeth. On aura très rapidement compris la métaphore. Véronique Cazot s’empare une nouvelle fois d’un sujet éminemment grave, comme elle l’avait fait précédemment sur l’avortement ou l’absence de désir d’enfant. Un sujet qui parle aux femmes bien évidemment mais qui doit trouver un écho dans toute la société, et chez les hommes en particulier. Loin de s’attarder sur l’ablation, la scénariste privilégie la reconstruction tant physique que psychologique. En effet, sa Betty Boob ne veut rien cacher : elle choisit de s’assumer. Loin de provoquer, le but est de rappeler qu’une femme ne se limite pas à une poitrine bien équilibrée. C’est donc la féminité, le regard sur soi et le regard des autres, le rapport au corps qui sont au cœur de cette histoire très touchante. D’autant que la scénariste fait le choix culotté d’un récit muet. Il y aurait pourtant tellement à dire ! Pour cela, on peut compter sur le dessin de Julie Rocheleau. La dessinatrice de La colère de Fantômas arrondit son trait et adoucit ses couleurs. Pour le reste, c’est une explosion d’énergie. Tout y passe : le découpage, les cadrages et les angles permettent de jouer sur la sensibilité. Les personnages sont ultra caricaturés et cela rend à merveille les sentiments de l’héroïne et la bassesse des autres. Contre toute attente, le rythme est ultra enlevé et les pages défilent sans qu’on y prenne garde, sans qu’on s’en rende compte et ce malgré la gravité du sujet. Au final, on referme l’album sans le vouloir, en souhaitant le meilleur à Betty Boob. Surtout on espère que plus jamais on ne regarde bizarrement une femme ayant perdu un sein. Preuve, s’il en était besoin, de l’immense talent des deux artistes.
Le temps ne change rien ! À sa sortie, Betty Boob était encensé comme un ouvrage poétique et drôle, féministe et émouvant. Bien sûr, ces qualités n’ont pas disparu et elles doivent nous rappeler l’importance du cœur, et non de l’image, dans nos relations interpersonnelles.