Nom de la série : Deathbringer
Scénario : Ismaël Legrand
Dessin : Ismaël Legrand
Couleur : Ismaël Legrand
Maison d'édition : Delcourt
Avec Deathbringer, Ismaël Legrand nous livre une œuvre de dark fantasy totale, mêlant destin brisé, corruption mystique et horreur rampante. Le récit démarre dans le sang et ne relâche jamais la pression. On retrouve une narration dure, presque brutale, servie par un dessin qui transforme chaque page en un paysage hanté. Deathbringer ne cherche jamais à rassurer : il cherche à posséder.
Tout commence par un rituel glaçant : le sacrifice d’un enfant pur, réceptacle vierge de toute corruption, voué à rétablir un équilibre que les prêtres affirment menacé. Cette scène fondatrice installe immédiatement la tonalité du récit : une époque où la magie dévore, où les fanatiques se parent de vertu, et où la vie humaine pèse bien peu.
Puis, le récit bascule vers le capitaine Volostan, un soldat rongé par une malédiction qu’il ne parvient plus à contenir. Désespéré, il cherche un remède auprès d’une sorcière, Yagdrin. Mais la vieille femme refuse de l’aider. Acculé, Volostan se met à la menacer, allant jusqu’à viser sa fille, Gilda, qu'il sait détenu dans une geôle. Mais Yagdrin lui tient tête, et dans un mouvement de panique, de rage ou d’épouvante, Volostan la tue. C’est là que tout déraille.
Gilda, la fille de la sorcière, une jeune femme longtemps enfermée dans des geôles, victime de la peur que suscitaient les pouvoirs de sa mère, se retrouve contrainte d’accompagner le roi sombre. Entre eux, un rapport paradoxal se tisse : nécessité, danger, et peut-être la clé d’un sort qui les dépasse.
En parallèle, nous découvrons un homme mystérieux :
Greyd Uth Kalandar. Greyd marche seul à travers des contrées dévorées par l’horreur : terres déformées, monstres démoniaques, silhouettes semblables à des zombies, visions d’un monde qui semble déjà perdu. Cet homme, rongé par la solitude et la peur, paraît à la fois survivant, bourreau et témoin d’un mal profond.
Ce qui trouble encore davantage, c’est que Heng, la jeune femme qui accompagne Volostan, semble lui être liée. Ce lien se manifestant par des visions violentes, s’imposant à elle comme si deux esprits se chevauchaient. Leurs destins semblent reliés par une force oubliée, peut-être même liée au retour du Deathbringer.
Parviendront-ils à rétablir l'équilibre ? Que représente Greyd réellement dans cet équilibre brisé ?
Et surtout, quel est le véritable rôle de Heng dans cette aventure sombre ?
La force du récit réside dans son architecture implacable : chaque scène fait avancer une tragédie plus vaste que les personnages eux-mêmes. On navigue entre quêtes de survie, drame intime et apocalypse mystique, avec une précision narrative rare.
Pour une première BD, Ismaël Legrand frappe fort. Il maîtrise parfaitement le rythme du début à la fin, offrant une progression qui dévoile les enjeux par cercles concentriques, et surtout, une tension psychique permanente.
L’écriture joue sur l’ambiguïté morale : Volostan est-il seulement une victime ? Gilda, est-elle un témoin ? Ou une héritière ? Et Greyd, messager, monstre ou repère ?
Le récit refuse les réponses immédiates et installe un mystère organique, plus inquiétant que spectaculaire. Une dark fantasy froide et sombre très bien jaugée.
Visuellement, Deathbringer est une claque. Ici, L'artistes compose un univers où chaque ombre semble vivante, chaque décor porte une cicatrice. Les visages sont expressifs, marqués, souvent au bord de la rupture, parfaitement adaptés à ce type d’histoire. Les pages oscillent entre Noirs profonds qui avalent les personnages, Textures granuleuses qui renforcent l’impression de monde en décomposition, et éclats de lumière brusques, presque agressifs, qui viennent souligner les moments de magie ou de violence.
Les créatures, démons et zombies, sont dessinés avec une imagination sombre mais jamais grotesque. Elles prolongent la psyché des personnages plutôt qu’elles ne cherchent à effrayer gratuitement.
Offrant un résultat à l'atmosphère suffocante, cohérente, immersive, en totale adéquation au récit.
Deathbringer est une œuvre forte, sombre, et maîtrisée. Une plongée dans une dark fantasy où chaque personnage porte autant de blessures que le monde qui les entoure. La narration tendue, la galerie de personnages ambigus et le dessin d'un noir profond en font une lecture marquante, exigeante, mais inoubliable.