Dewi et ses soeurs

Nom de la série : Dewi et ses soeurs
Scénario : Serge Lehman
Dessin : Yann Legendre
Couleur : Yann Legendre
Maison d'édition : Albin Michel

L’intrigue se déroule en 2072, dans une Chine futuriste dirigée par un régime autoritaire. Dewi Setiawan, une fillette clone d’environ onze ans, vit au sein de la "Maison du Reflet de la Lune dans l’Eau", un centre isolé dédiée aux enfants clones présentant des anomalies génétiques.Dewi, a la capacité de dégager certaines phéromones capables d'attirer les animaux à elle, leur donnant l'impression d'être des leurs. Dans cet institut, elle est considérée comme une paria par ses congénères ; son seul et unique ami est Phil, une intelligence artificielle en forme de chat. Un jour, elle fait la rencontre fortuite d'une fillette lui ressemblant trait pour trait lui confiant qu'il existerait en tout 12 entités similaires à elles. Suite à cette rencontre, le centre prend la décision de la transférer vers Pékin. Dewi prend peur et décide de s’enfuir, malgré les dangers, afin de retrouver ses sœurs clone. Peu à peu, elle va comprendre qu’elle fait partie d’un projet bien plus vaste. Malheureusement, une inquiétante figure maternelle, la Nurse Baba, se lance à sa poursuite. Parviendra t'elle à échapper à nurse Baba et à retrouver ses sœurs.

Serge Lehman, connu pour ses récits exigeants (la Brigade chimérique, L’Homme gribouillé…), propose ici une histoire simple en surface, mais qui soulève des questions profondes : qu’est-ce qu’être soi, quand on a été fabriqué ? Peut-on choisir son destin quand on a été programmé ?
Le récit prend son temps, avec peu de dialogues, mais chaque mot est pesé. On est dans une narration lente, immersive, presque contemplative, qui fait réfléchir sans jamais être moralisatrice. Il nous propose une narration dense, mais fluide, où les dialogues sont rares mais chargés de sens. Il n’écrit pas une histoire de science-fiction ; il écrit la fable d’un monde abîmé par ses utopies scientifiques. Ce n’est pas tant la dystopie qui prime que l’exploration de l’individu dans une société de standardisation absolue.
   Le personnage de Dewi fonctionne comme une énigme vivante, dont la pensée s’éveille au fil des révélations. Le rythme est lent mais tendu, presque liturgique. Les scènes d’action sont rares et rapides, tandis que les moments d’introspection s’étirent, laissant au lecteur la place de s’interroger : Qui sommes-nous, si l’on peut nous reproduire à volonté ?

   Le travail graphique de Yann Legendre se démarque tout de suite. Le dessin est très stylisé, presque minimaliste, avec des formes simples et une colorisation sobre en niveau de gris. Cela donne un ton froid, clinique, qui colle parfaitement à cet univers technologique et surveillé.
Mais malgré cette apparente froideur, l’émotion passe. Les cadrages sont puissants, les silences bien posés, et certains visuels marquent durablement. Les pages alternent compositions pleines et silences visuels, jouant parfois sur l’ombre portée plutôt que sur le trait. Les visages sont souvent schématiques, presque masqués, renforçant l’impression de déshumanisation. Mais paradoxalement, cette abstraction met en lumière les émotions les plus intimes : solitude, peur, étonnement, révolte. Le choix des couleurs – sobres, légèrement désaturées, presque médicales – accentue l’atmosphère clinique du récit.
"Dewi et ses sœurs" est donc une BD forte et originale, qui mélange science-fiction, aventure et introspection avec beaucoup de justesse. C’est une œuvre qui ne cherche pas à plaire à tout prix, mais qui propose une vraie expérience de lecture, autant visuelle qu’émotionnelle.
   Un récit qui plaira autant aux amateurs de récits futuristes qu’aux lecteurs en quête d’histoires sensibles et intelligentes. Une lecture marquante que je ne peux que vous conseiller.