Nom de la série : Erkin Azat
Scénario : Erkin Azat
Dessin : Luxi
Maison d'édtion : Delcourt Encrages
Dans cette œuvre autobiographique, Erkin AZAT raconte comment il est devenu lanceur d’alerte face aux exactions chinoises commises sur les Ouzbeks, Kirghizes, Turkmènes et les Ouïghours.
La vie de Riiem, alias Erkin AZAT, n’est au départ pas destinée à être publique : cadet de sa fratrie, il est tenu de s’occuper de ses parents et est d’un caractère plutôt réservé. C’est à l’occasion de son arrestation lors du passage de la frontière sino-kazakhe que cet ingénieur pour une compagnie pétrolière chinoise située au KAZAKHSTAN va découvrir la répression menée par le gouvernement chinois envers toutes les personnes qui n’appartiennent pas à l’ethnie des Hans. Ainsi les douaniers, après avoir fouillé son portable, lui reprochent d'y voir figurer le drapeau du TURKESTAN oriental, et d’y avoir consulté une page Wikipédia sur le sujet. Il va alors découvrir l’absurde violence qui anime le pouvoir via des policiers qui sont pourtant comme lui, assimilés.
Même si Riiem avait déjà constaté la sinisation forcée de son pays - le neuvième plus grand État au monde - notamment avec le rejet de la langue kazakhe, l’ingénieur est au départ un citoyen sino-kazakh sans engagement aucun menant une vie tranquille. Sa famille est intégrée, et évite tout problème notamment en se cachant pour aller prier. En effet, l’histoire de son grand-père Ramuqijaq, incarcéré durant des années après avoir rédigé ses mémoires de défenseur de la mémoire du Turkestan, est encore vive et a incité les parents de Riiem à ne pas se faire remarquer quitte à oublier leurs racines.
Ainsi, Riiem a cru longtemps que les individus au sein de la CHINE étaient égaux jusqu’à ce qu’il comprenne que les Turcophones y sont stigmatisés et marginalisés. Il va alors recueillir des témoignages dont le premier est celui d’Aidana, ancienne déportée dans un camp chinois dit de rééducation, et qui passe par le dessin pour évacuer ses traumatismes mais aussi par la poésie avec les vers de Makaghali MAKATAYRAV « Ne regrette pas ta vie, ne la déteste pas, / Ne la laisse pas s’encombrer de pessimisme, / On ne peut pas tomber tout le temps, tu as le droit de te relever, tu as le droit de courir. »
Dès lors, Riiem va mener deux vies parallèles : ingénieur et lanceur d’alerte sous le pseudonyme d’Erkin AZAT dont les deux noms signifient « liberté » en turc et en perse. À partir de là, il va pouvoir auprès d’autres citoyen·ne·s courageux·ses documenter la répression implacable chinoise pour alerter avec succès la communauté internationale, et dévoiler ce faisant le raffinement de l’autoritarisme chinois qui paraît être sans borne : accueillir les nouveaux prisonniers par des spectacles joués par d’autres détenus avec la promesse non tenue d’une libération anticipée, surveiller voire couper les réseaux sociaux, diffuser des infox pour stigmatiser Ouïghours et Kazakhs, organiser de faux procès, arrêter arbitrairement et réprimer férocement n’importe qui, ou bien encore tuer les bébés nés hors planification.
La carte initiale permet avec pertinence de clarifier et visualiser les tensions en Asie centrale. Cette œuvre comporte par ailleurs beaucoup de références géographiques et historiques comme le programme de collectivisation agricole et de sédentarisation stalinien qui a décimé entre un et deux millions de Kazakhs soit 40 % de sa population. Avec la banalité de la personne de Riiem, on découvre avec effarement les exactions subtiles ou les "vérités" alternatives comme les camps renommés par le pouvoir centres de formation professionnelle. Cette œuvre est à la fois intéressante et terrifiante puisque toujours d’actualité malgré la récente prise de conscience des consommateur·rice·s pour ne plus acheter ce qui est fabriqué dans ces camps, et ramener de l’éthique en exerçant une pression économique. Cette bande-dessinée est aussi puissante par le courage du lanceur d’alerte Riiem désormais réfugié en FRANCE, et de LUXI dessinatrice chinoise qui vit elle aussi en FRANCE. Si le premier a dû fuir devant les menaces qui pesaient sur son association d’aide aux familles et rescapé·e·s des camps, son combat ne cesse pas et rappelle que les régimes autoritaires, même s’ils cherchent à exercer une pression pour ne pas révéler leurs atrocités, finissent par être démasqués.
Cette œuvre ne manquera pas de marquer les esprits en espérant qu’elle finisse par renverser les oppresseurs.