La nuit est mon royaume

Lorsque Nawel rencontre Alice, elle n’est qu’une gamine de banlieue. Lorsqu’Alice lui fait écouter la musique de Paul McCartney, le monde semble s’ouvrir devant les yeux de la beurette de la cité. Ensemble, elles vont franchir toutes les étapes de l’adolescence et de la création musicale, non sans y laisser des plumes.
Claire Fauvel signe un récit d’initiation fort et envoûtant. Un coup de cœur assuré !!
 
Leur première rencontre est mouvementée. Il faut dire qu’entre Nawel et Alice, un univers les sépare. D'un côté il y a Nawel, jeune « caïd » de Créteil avec les mœurs et les codes de la cité. De l'autre, Alice, petite nouvelle qui débarque avec son manteau fuchsia. Et pourtant cette rencontre va façonner leur vie future. Alice fait découvrir la musique des Beatles et de Paul McCartney à Nawel. Nawel offre protection et apprend les us et coutumes de la banlieue à Alice. Ensemble elles vont grandir, passer leurs examens, former un groupe : Nuit noire. Ensemble, elles vont franchir toutes les étapes de l'enfance puis de l'adolescence afin d'entrer dans l'âge adulte. Ensemble, elles vont vibrer sur scène ou subir les pires désillusions. Ensemble elles vont devenir plus fortes...

Difficile de ne pas être dithyrambique lorsque l'on chronique La nuit est mon royaume tant cet album est une petite pépite. Je me risquerais même à ajouter: comme toute l'œuvre de Claire Fauvel ! Cette fois-ci, l'artiste nous immerge dans le récit initiatique d'une jeune beurette de Créteil. Bonne élève, elle vit tiraillée entre le cadre familial et le carcan imposé par la cité. Jusqu'à sa rencontre avec Alice. Même si tout semble les opposer, ces deux-là sont faites pour s'entendre, autour de la musique. C'est là où le dilemme se pose avec encore plus d'importance pour Nawel : pour ses parents, la musique ne peut-être qu’un loisir, qu'un passe-temps et certainement pas un métier. On découvre alors une autre facette de l'album dans le passage si complexe de cette période qui ne l'est pas moins : l'adolescence. Avec beaucoup de justesse mais également de pudeur, Claire Fauvel nous raconte la rupture avec le cercle familial puis la lente descente aux enfers de cette adolescente; avant son rebond. Cette étape formatrice, mais jamais évidente, l’est encore plus puisque Nawel est une fille dans un monde d'hommes. Que ce soit dans la cité ou dans le milieu de la musique, elle va devoir subir les règles profondément misogynes et lutter pour s’en affranchir. Il en est de même pour sa famille d'origine algérienne.
Et puis, il y a le dessin si doux et si fort de Claire Fauvel. Doux et fragile comme ces deux gamines que la vie va égratigner. Fort parce que, malgré les coups, elles vont toujours se relever. Cet exploit, elles le doivent à la musique et là aussi, la dessinatrice démontre tout son talent. Les planches de concert ont une construction fort atypique et originale ; à tel point que l'on a l'impression d'être dans la fosse, d'être à côté du groupe, d'entendre leurs sonorités. C'est extrêmement envoûtant et en même temps dérangeant parce que, quel que soit son âge, on se sent concerné par ce récit. Si je ne devais trouver ne serait-ce qu'un défaut, ce serait sur la forme (la couverture souple) et non sur le fond tant l’œuvre est profonde et enivrante.

C'est donc un magnifique récit initiatique, envoûtant et dérangeant parce qu'il nous pose les bonnes questions avec un coup de crayon magistral. Un coup de cœur assuré.