Nom de la série : LES CRIEURS DU CRIME
Scénario : Sylvain VENAYRE
Dessin : Hugues MICOL
Couleur : Hugues MICOL
Maison d'édtion : DELCOURT
Février 1907, le tout Paris est secoué par la disparition d’une fillette. La police et la presse ont rapidement un suspect: un voisin aux propos ontradictoires. Déjà, des voix s’élèvent pour réclamer la peine capitale. Au même moment, le gouvernement prépare un projet de loi pour abolir la peine de mort. Sous couvert de nous raconter un fait divers sordide aux lourdes conséquences, les auteurs nous invitent à réfléchir à nos médias actuels et à leurs influences.
Alors que, sur le parvis de la gare, Marguerite et Valentin se rêvent déjà enlacés dans les bras l’un de l’autre, sous le pont des Soupirs à Venise, ils sont ramenés à la réalité par Jeannot, un collègue de Valentin. Il y a eu un drame à côté du Ba-ta-clan et Lachaise veut que Valentin s’en occupe. Il est même prêt à prendre en charge la future lune de miel des jeunes mariés. Argument qui fait mouche même si la curiosité de Valentin était déjà bien piquée. Une fillette, Marthe, accompagnée d’un ami de la famille, Albert Soleilland a mystérieusement disparu en allant aux toilettes du Ba-ta-clan. Mystérieusement car personne ne se souvient les avoir vus, que l’artiste prétendument sur scène ne l’était pas et que l’homme est défavorablement connu des services de police pour escroquerie. Valentin est donc dépêché sur place pour décrocher le scoop qui fera décoller le journal de Lachaise au niveau du Petit Parisien. Malheureusement, Valentin va de retards en déboires. Il préférait écrire un de ses romans policiers à la mode avec un reporter comme héros. Il est rapidement rappelé à la réalité par le débat public qui s’enflamme autour de cette enquête et du sort que la justice devra faire subir au coupable. C’est justement au même moment que le gouvernement prépare un projet de loi pour abolir la peine de mort. L’enquête et le débat risquent d'être houleux…
Lorsque l’on voit les chiffres de vente de la presse aujourd’hui, on a du mal à imaginer, qu’au début du XXe siècle, un journal comme le Petit Parisien titrait à plus d’un million d’exemplaires par jour. C’était l’époque des romans feuilletons et des enquêtes au long court d’Albert Londres et consorts. Cette époque, Sylvain Venayre et Hugues Micol proposent de nous le faire revivre à travers un fait-divers qui va prendre des proportions inimaginables. C’est ainsi qu’on fait la rencontre d’un jeune couple en partance pour leur voyage de noces à Venise, Marguerite et Valentin. S’ils sont rattrapés sur le parvis de la gare et réquisitionnés pour mener l’enquête sur un probable meurtre, le lecteur ne sait rien de plus. Est-ce un policier ou un journaliste ? Cette question, présente dans tout l’album, marque bien la confusion latente dans la société de l’époque. On va donc suivre Valentin, Jeannot et Léonie, trois journalistes d’un petit journal, dans leur quête de vérité. On découvre les petites manigances pour la recherche de scoop et de la bonne interview et parfois leurs déboires. On arpente Paris dans leurs pas à la recherche du détail, forcément croustillant, qui fera vendre plus que le concurrent. Si ces reporters ne sont pas les meilleurs, ils n’en demeurent pas moins des hommes et des femmes doués de conscience. Dans leur intimité, ils nous racontent leurs impressions et leurs pensées sur cette affaire, sur le traitement médiatique et sur ses conséquences. Ce sordide fait divers tombe au même moment qu’un projet de loi sur l’abolition de la peine de mort. Lorsque l’on sait que le Petit Parisien recueillera un million et demi de réponses à son sondage, avec 74% d’opinions favorables à la peine de mort, on comprend pourquoi cette loi ne sera adoptée que ¾ de siècle plus tard. À l’heure où la neutralité de certains médias interroge, cela fait le plus grand bien de remettre les pendules à l’heure. Coté dessin, le trait d’Hugues Micol est tout bonnement sensationnel ! Celui qui a explosé avec Chiquito la muerte change totalement de style. Il se laisse influencer, voire imprégner par les artistes de l’époque. Il y a du Manet dans ses cases, du Degas et même du Toulouse-Lautrec. C’est tout à la fois réaliste et extrêmement marqué par les émotions. C’est ainsi qu’on ressent véritablement le tourment qui s’est emparé de la société. C’est extrêmement efficace et plaisant et parfaitement secondé par une construction qui fait la part belle au gaufrier de 2 par 3 mais qui sait aussi s’adapter. Le récit quotidien est dès lors rythmé par de sublimes doubles pages de paysages parisiens effectués plus ou moins à vue d’individus, qui ne dépareilleraient pas dans quelques galeries d’art. Fort logiquement, la colorisation joue un rôle primordial en tant qu’élément de narration, de restitution du réel et d’exposition du ressenti.
Sous couvert de raconter un fait divers du début du XXe siècle et son traitement médiatique, les artistes nous présentent une critique des médias très actuels magnifiquement mise en image dans le style de l’époque. Un ouvrage somptueux et instructif à découvrir rapidement.