Nom de la série : Les mémoires de la Shoah
Scénario : Théa ROJZMAN
Dessin : Tamia BAUDOIN
Couleur : Tamia BAUDOIN
Maison d'édition : Dupuis
Il y a 30 ans, Annick Cojean publiait une série d’articles sur la Shoah, sur ses survivants et leurs enfants, sur ceux de leurs bourreaux. Son travail était récompensé par le prestigieux prix Albert Londres. Aujourd’hui, on commémore le 80e anniversaire de la libération des camps et il est toujours aussi nécessaire de se souvenir ! C’est donc un ouvrage bouleversant mais aussi dérangeant que nous proposent les éditions Dupuis. Un ouvrage indispensable !
Fin 1994. Alors que l’Europe s’apprête à célébrer les 50 ans de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz, la journaliste au Monde Annick Cojean s’interroge. Que reste-t-il de la Shoah ? Où en sont les sociétés européennes du pire crime contre l’Humanité de l’Histoire ? Avec le soutien de sa rédaction, elle se lance dans la rédaction d’une série d’articles qui va la mener aux États-Unis et en Europe. Elle va donner la parole aux témoins, aux survivants, à tous ceux qui n’ont pas voulu ou osé parler, à tous ceux qui n’ont pas été écoutés et à qui l’université de Yale a enfin donné la parole grâce à une compilation de témoignages vidéo. Profondément marqués, les survivants ont malgré tout repris leur existence, ils ont eu des enfants qui ont la lourde tâche de leur survivre. Afin de ne pas faire des articles à charge, et même si cela peut paraître choquant, Annick Cojean a également donné la parole aux enfants des bourreaux, « nés coupables » de la faute de leurs parents. Pour aller au-delà de la haine et de l’incompréhension, la reporter va enfin s’intéresser aux rencontres entre enfants de victimes et enfants de nazis. Une expérience intense, extrêmement chargée d’émotions, qui prouve que l’humanité est capable de se relever des pires traumatismes.
Alors que nous célébrons le 80e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, les éditions Dupuis sortent Les mémoires de la Shoah. Il s’agit ici de poursuivre la collection prix Albert Londres en adaptant la série des cinq articles d’Annick Cojean, publiée dans Le Monde en 1994. Bien sûr, il y aura des témoignages de déportés, mais la journaliste et la scénariste Théa Rojzman font également le choix d’exposer la construction des articles. Cela débute donc par Annick Cojean. À l’aube du 50e anniversaire de la libération des camps, elle se demande où l’humanité en est de l’Holocauste. Rappelons qu’il y a 30 ans, l’Histoire n’était pas si prolifique qu’aujourd’hui. Elle décide donc de partir en quête d’informations. C’est ainsi qu’elle se retrouve à Yale pour évoquer le programme « Fortunoff Vidéo for Holocaust Testimonies ». C’est certainement le passage le plus dur. Imaginez, Bessie K qui livre son bébé comme un vulgaire paquet de linge sale afin de rester en vie. Un choc si violent qu’elle en oublie presque instantanément avoir eu un enfant. La journaliste se veut également exemplaire en termes d’objectivité. C’est ainsi qu’elle donne la parole aux enfants des survivants ainsi qu’à ceux des bourreaux. Démarche louable mais quelle gêne terrifiante d’entendre le fils unique de Rudolf Hess nier mathématiquement l’existence de la « solution finale de la question juive ». Et puis la journaliste explore les tentatives des gens de Bien afin de mettre un terme à la haine. Partie très émouvante où chaque enfant comprend qu’il ne se réduit pas aux gènes parentaux. Il est extrêmement difficile de mettre en image ce genre de témoignage. Le principal écueil serait de tomber dans une sorte de voyeurisme nauséabond. Il faut pourtant réussir à montrer l’inimaginable. Le choix de Tamia Baudouin s’est tourné vers la métaphore. C’est ainsi que l’album s’ouvre sur la journaliste errant dans une forêt à la recherche de papillons, à la recherche de témoignages. Chacun correspond à une branche supplémentaire de l’immense arbre du souvenir. Bien sûr, il y a des flashbacks et on se retrouve dans un wagon à bestiaux ou sur la rampe d’Auschwitz. Mais ces images chocs sont ponctuelles et très souvent allégoriques ; reprenant cela les propos de Primo Levi. La violence se retrouve dans les hachures omniprésentes mais surtout dans les mots ; et à l’heure où l’image domine, c’est tout simplement bouleversant. La colorisation est dominée par l’ocre, le bleu ou le rouge mais elle sait aussi se faire plus lumineuse lorsque la haine cède la place. On referme cependant l’album en ressentant une gêne persistante. Deux citations me reviennent alors. La première est celle d’Eevelyn Askolovitch, une rescapée néerlandaise, qui affirmait à la télévision que la Shoah n’était que très peu enseignée aux Pays-Bas. La seconde, de Bertolt Brecht : « Le ventre est encore fécond d’où a surgit la bête immonde »...
Œuvre bouleversante autant qu’ouvrage journalistique implacable, cette adaptation des Mémoires de la Shoah est un recueil de témoignages indispensable afin de ne jamais oublier.