au bureau de l'immigration du grand pays, Un jeune garçon l’exilé n° 214 est soumis à un interrogatoire .
Le but de ce dernier: obtenir le permis qui lui permettra de rester dans cet ailleurs pour lequel il a fui tout son passé. Et pour ce faire, il doit tout raconter, de ce qu’il est, de ce qu’il a été, de ce qu’il a vécu .La tentation de mentir est grande pour réussir l'entretien et être accueillie en terre d'abondance. Mais les ombres de son passé qui hantent son esprit le rappellent aux dures épreuves de l'exil qu'il a enduré et l'insite à dire la vérité afin de ne pas souiller leur mémoire . Si au départ, Les Ombres a été écrit par Vincent Zabus pour le théâtre afin d'aborder la question de l'exil forcé des Africains, elles ont pris une dimension nouvelle avec la collaboration d'Hippolyte pour l'album : le scénario a été creusé et réécrit et somptueusement mis en images par le dessinateur. Jeux de couleurs, univers fantasmagorique, décors contrastés, personnages irréels, Hippolyte plonge le lecteur dans un rêve (ou cauchemar) éveillé où ombres et fantômes font irruption dans des situations bien réalistes. Ces dernières ne sont pas sans rappeler l'univers de miyasaki et de ses esprits (Kami) dans le "voyage de Chihiro".
Le résultat est cet épais chef-d'oeuvre de 175 planches, qui donne à cet ouvrage des allures de fable cruelle aux dimensions allégoriques .En parsemant son récit d’ogres, de sirènes et de serpents passeurs, l’auteur insuffle un ton onirique à l’ensemble, parvenant à restituer toute l’incertitude et l’inhumanité du périple. Cet album, paru à l'origine en octobre 2013, aux Éditions Phébus mettait déjà en exergue les exodes de populations liées aux guerres et aux conflits politiques et la difficulté à s'intégrer à se réinventer. La difficulté à oublier ce passé qui nous a façonnés . Actuellement, ces problématiques sont plus que jamais d'actualité : non seulement le nombre d'exilés ne cesse d'augmenter mais en plus leur pays d'origine est de plus en plus diversifié, entre les guerres, la famine et le réchauffement climatique, ce phénomène ne peut que s'accentuer. Ce texte nous rappelle que ces apatrides vivent de terribles souffrances bien susceptibles de les éloigner d'eux-mêmes. Bien que les témoignages réels sur le sujet ne tarissent pas, ce qui touche dans cet album, c'est qu'il l'expose de façon singulière par ses personnages déshumanisés et anonymisés portant masques et toges ( à la manière d'une tragédie grecque). La fuite, la guerre, l’exploitation, la révolte, l’immigration, la réalité des passeurs, la traversée, symbolique et réelle du désert : les thèmes abordés dans « Les Ombres » sont ceux dont on entend parler tous les jours au journal télévisé , mais qui bien souvent nous laisse de marbre. Une oeuvre bouleversante oscillant perpétuellement entre fables, légende, conte et Odyssée .Une bd à lire absolument.