Nom de la série : Mémoires de Gris
Scénario : Sylvain FERRET
Dessin : Sylvain FERRET
Couleur : Sylvain FERRET
Maison d'édtion : Delcourt
De retour à Gris, le seigneur Pierre de Gris va chercher à fuir la violence et l’obscurité. Sylvain Ferret signe un roman graphique dense et monstrueusement sombre.
Bien que la guerre soit lointaine, ses conséquences se font rudement sentir dans la région de Gris. Les meilleurs soldats sont partis en croisade avec le roi qui réclame toujours plus d’argent. Pourtant, la misère et la famine sont déjà bien présentes. C’est dans ce contexte que Will ramène le corps de son compagnon d’armes, Pierre de Gris, auprès de son père. Refusant la fatalité, le vieil homme ordonne à Marion, la guérisseuse, de ramener son fils à la vie. Le jeune chevalier retrouve donc ce monde de misère et de violence alors qu’il pensait en être débarrassé une fois pour toutes. Il va violemment s’opposer à son père, au bailli et à ses hommes, à tous ceux qui veulent s’immiscer dans sa quête de liberté. Incapable de payer les dettes de son père, Pierre va entrer en clandestinité auprès de Marion. Amis d’enfance, ils ont même été amants avant que Pierre ne parte. Réussiront-ils à fuir la violence et leur passé… ?
Pour son nouvel ouvrage, Sylvain Ferret nous plonge dans un univers médiéval fait de réalité et de stéréotypes. Val de brume, Griserive ou Havre Obscur sont autant de noms qui marquent l’obscurité de cette période, éclipsée par la Renaissance future. Il faut pourtant bien l’admettre, ce fut une période très inégalitaire où la violence était bien présente. C’est d’ailleurs pour canaliser cette hargne que les croisades furent mises en place. Mais, dans cette époque troublée, comme dans toutes les époques, le manichéisme n’avait pas sa place. Seule comptait la raison d’État qui, souvent, rimait avec la raison du plus fort ! C’est dans ce cadre que le lecteur fait la rencontre de Pierre de Gris. Mal-en-point, il est soigné par de mystérieuses mains couturières et il faut bien quelques pages pour comprendre qu’en réalité il est ramené d’entre les morts. D’une façon générale, l’exposition est assez lente à s’installer. Utilisant très abondamment les flashbacks, le scénariste infuse davantage un contexte que des personnages. Ce monde suinte la violence par tous les pores. Cette violence, trois personnages vont la subir : Pierre de Gris, Marion et le bailly Randolph. Si on comprend vite que l’intrigue va tourner autour d’eux, il faut un certain nombre de péripéties pour que leurs relations deviennent claires. C’est une sorte de triangle amoureux qui se met en place. Rien de très original, me direz-vous, sauf que l’époque est à la sorcellerie et on détecte les références au Seigneur des anneaux ou à la Complainte des Landes perdues ici ou là. Parti en croisade, le roi a besoin d’argent et ponctionne jusqu’à la limite ses terres et ses gens. Une bonne âme va donc chercher à protéger les paysans en volant aux riches pour nourrir les pauvres. Et évidemment, là aussi, on aura reconnu la trame de Robin des Bois. À ses références, Sylvain Ferret ajoute la violence omniprésente et les souhaits de liberté. Cela donne une intrigue très diluée qui avance plus grâce aux flash-backs qu’au péripéties. Une intrigue presque secondaire car la violence, et surtout la quête pour s’en défaire, est le véritable moteur de cet album. Côté dessin, impossible de ne pas commencer par le travail de colorisation. Là aussi, il faut quelques temps pour comprendre les raisons des cases de couleurs différentes. Bien sûr, on saisit immédiatement qu’il s’agit de flashbacks mais leur nombre déstabilise quelque peu. Enfin lorsqu’on se trouve au sein de la narration, ce qui frappe, c’est la tristesse des décors et des personnages. Point de ciel bleu, point de fleur, seul la peine et la grisaille sont présentes et cela conforte cette atmosphère pesante de violences héréditaires. Pourtant, les personnages aux traits réalistes sont ultra charismatiques. A défaut d’être charmants, ils font ce qu’on leur demande : ni bon ni mauvais et les deux à la fois.
Mémoire de gris est donc un album dense à lire, un mélange de sorcellerie médiévale et de portrait sociétal de l’époque : un ouvrage sombre qui trouvera sans nul doute son public.