Nom de la série : Rue de la grande truanderie
Tome : 1
Titre du Tome: Une enfance au familistère
Scénario : Jean David MORVAN
Dessin : Romain ROUSSEAUX PERIN
Couleur : Hiroyuki OOSHIMA
Maison d'édtion : Grand angle
Jeune indigente parisienne, Glannes est recueillie par Jean-Baptiste Godin au sein de son familistère de Guise. Vingt ans plus tard, c’est elle qui met en pratique les pensées de son père adoptif mais cette fois au service de tout ce que Paris compte de rebus de la société. JD Morvan et Romain Rousseau Perrin rendent hommage à Godin et à son œuvre à travers une intrigue aussi agréable qu’instructive.
1864, dans le Paris en travaux du baron Haussmann et de Baltard, l’industriel Jean-Baptiste Gaudin fait la leçon à son fils Émile. Au programme de cette journée, l’étude des flux d’air des pavillons du ventre de Paris. C’est à ce moment qu'une jeune indigente chaparde la montre du chef d’entreprise. Attrapée par un boucher, elle échappe de justesse à une sévère correction grâce à l’intervention de sa victime. Plutôt que de la blâmer, il va la recueillir ! Il l’amène donc à Guise au sein de son Familistère, un établissement dans lequel les ouvriers et leurs familles vivent en communauté dans un confort qui leur était jusqu’alors inaccessible. Vingt ans plus tard, sur les collines de Montmartre, mendiants, voleurs et prostituées disparaissent. Existerait il un lien ?
Parmi les curiosités architecturales de notre beau pays, Guise a une saveur particulière. Impossible pour le Rémois Jean-David Morvan de ne pas connaître ce monument tant les picards, comme les champenois, en sont fiers. Déjà mis en avant par Régis Hautière et David François (De briques et de sang), ce bâtiment est le familistère. Cette utopie est née de la rencontre de la pensée de Charles Fourier et de la fibre sociale d’un capitaine d’industrie, Jean-Baptiste Godin. Là où le scénariste de Madeleine résistance est malin, c’est qu’il ne se contente pas de raconter la construction ou d’imaginer une intrigue, fusse-t-elle policière, au sein de l’établissement. Non, il imagine une histoire qui démarre au Familistère et qui s’imprègne de la philosophie de son créateur pour la dupliquer à Paris et l’appliquer à une autre catégorie sociale que celle des ouvriers. C’est ainsi que l’album s’ouvre sur un charmant cabaret de Montmartre où les bourgeois de province viennent s’encanailler. Ils profitent des plaisirs et se font dépouiller à la sortie. C’est à ce moment que l’histoire prend un tour particulier : le voleur n’a pas le temps de profiter de son butin qu’il est enlevé. Ici débute alors le premier flash-back. Vingt ans auparavant, Gaudin père et fils recueillent une jeune voleuse à la sauvette, Glannes. L’utopiste lui ouvre les portes de son foyer et de son usine en la confiant Marie Moret, celle qui sera sa seconde épouse. C’est cette même Glannes qui transposera le rêve de son père adoptif aux indigents parisiens, au grand dam de son véritable fils, Émile. Une fois que toutes les pièces du puzzle sont mises dans le bon sens, l’intrigue devient beaucoup plus simple et on suit les rebondissements avec plaisir. Chaque flashback permet d’approfondir la psychologie des personnages et l’intrigue perd en intensité policière ce qu'elle gagne en règlement de compte familial. Côté dessin, c’est un proche de Morvan qui officie. C’est également quelqu'un qui connaît bien le familistère car originaire de Charleville-Mézières. Le trait de Romain Rousseau Perrin est affirmé. Les décors nous réservent quelques effets "wahou" ! Le familistère, trop peu présent à mon goût, est plus vrai que nature. Les intérieurs des maisons de joie parisiennes donnent une parfaite illustration de leur aspect ostentatoire et on repère bien l’affection du dessinateur pour l’architecture. Mais Romain Rousseau Perrin ne s'arrête pas là. Il utilise de nombreuses astuces afin d’apporter une bonne dose de dynamisme. Il y a bien sûr les dessins qui sortent du cadre et les jeux de profondeur. Mais ce que j’ai le plus apprécié, c’est cette spectaculaire course-poursuite sur les toits de Paris digne de la Main au Collet. La mise en page n’est pas en reste, apportant tantôt du ralenti, tantôt de franches accélérations. Pour la couleur, c’est également une histoire de tribu car elle est confiée à Hiroyuki Ooshima. Le Japonais fait le choix de pastels légèrement délavées qui collent à la perfection à l’ambiance. Il gère aussi à merveille les scènes nocturnes, renforçant parfaitement atmosphère de l’intrigue.
Jean-David Morvan et Romain Rousseau Perrin imaginent une double intrigue qui rend hommage au monument historique tout en imaginant un prolongement à la philosophie de Godin, un diptyque aussi agréable à lire qu’instructif.