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legrain legrain
Coup de coeur

Silent Jenny

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Nom de la série : Silent Jenny
Scénario : Mathieu Bablet
Dessin : Mathieu Bablet
Couleur : Mathieu Bablet
Maison d'édition : label 619 , rue de sevres

Avec "Silent Jenny", Mathieu Bablet, édité chez Rue de Sèvres (Label 619), nous propose l'album qui clôture une trilogie démarré avec "shangri-la. Un album somptueux prenant place dans un monde flétri, où les survivants tentent tant bien que mal de recoller les pots cassés.

   Dans un futur sombre où les insectes pollinisateurs ont disparu après d’immenses bouleversements climatiques, l’humanité survit en grande partie à bord de “monades” : ces vaisseaux-villages motorisés qui errent sur des terres stériles. Jenny est biologiste, engagée dans une mission cruciale : retrouver les dernières traces d’ADN d’abeilles. Si l’espèce réapparaît, c’est l’espoir de restaurer un fragile équilibre, mais aussi de retrouver ce monde d’avant que beaucoup imaginent encore dans les récits et les souvenirs anciens.
   Jenny vit à bord du Cherche-Midi, l’une de ces monades, et elle doit affronter la désolation des paysages, la désespérance collective, et la surveillance ou l’opposition de factions humaines opposées, notamment la PuysCorp ou les Mange-Cailloux, qui vivent en marge. À chaque plongée dans la mémoire biologique, elle soulève des cicatrices invisibles : souvenirs en lambeaux, faux espoirs, échecs anciens. L’enjeu n’est pas seulement scientifique, mais moral : jusqu’où ira-t-elle pour restaurer ce qui semble irrémédiablement perdu ?
   Mathieu Bablet installe une tension subtile mais constante. L’intrigue mêle exploration scientifique, quête identitaire, et dystopie. Le temps semble ralentir dans les scènes contemplatives — Jenny scrutant des fragments ADN, fouillant d’anciennes archives — puis s’accélérer dès que surgissent les obstacles humains ou naturels. Le rythme est équilibré entre spleen de la perte et espoir. Le personnage de Jenny est bien dessiné : déterminée, vulnérable, blessée par le passé, mais sans être héroïque au sens cliché. Ce mélange de résilience et de doute donne de la profondeur au récit.
   Graphiquement, l’album frappe par sa maîtrise visuelle. Le monde est désolé, creusé par la sécheresse, la poussière, les cieux lourds. Bablet joue des décors quasi-désertiques et des architectures rouillées des monades pour évoquer à la fois la perte et la dérive. Le trait est net, souvent précis dans les détails scientifiques et technologiques, mais aussi capable de douceur dans les scènes plus intimes. Les couleurs oscillent entre des teintes ternes, presque grisâtres, et des touches plus vives lors des moments d’espoir. La mise en page contribue à nous ancrer dans le récit, faite de larges scènes panoramiques pour montrer l'étendue du désert, et de cases serrées pour les moments de tension ou de solitude écrasante.
   Silent Jenny est une œuvre ambitieuse : elle ne se contente pas de poser un univers post-apocalyptique, elle le fait respirer, le rend tangible, le mêle à des questions délicates sur la mémoire, l’écologie, et ce que nous sommes prêts à sacrifier pour retrouver ce que le monde a perdu. Jenny incarne cet entre-deux : ni idéaliste naïve, ni cynique désabusée, mais une femme qui regarde le passé pour y puiser une force.
Un récit rondement mené qui vient clôturer avec brio ce triptyque démarré avec Shangri-La. Une œuvre majeure qui nous donne à voir, une fois de plus, l'étendue des capacités de cet auteur complet.

 

A propos du chroniqueur

Nom d'utilisateur : bibione

Nombre de chroniques publiées : 63