La bande du 9 : La communaut du 9ème art

Avec "le labyrinthe inachevé", Jeff Lemire revient en force avec un one shot côtoyant le fantastique et empreint de mythologie. Il construit son scénario autour d'un fil rouge qui va conduire son protagoniste aux frontières du réel sur les traces d'une mémoire, de souvenir enfui au plus profond de lui. Ce récit d'une grande justesse, envoûtant et chargé d'émotions ne laissera personne indifférent. De mon point de vue, sûrement l'une de ses plus belles histoires, un véritable coup de cœur qu'on ne peut que s'empresser de vous recommander.
 

    Will travaille comme chef de chantier, mais il est avant tout un père frappé par le désenchantement depuis le décès prématuré de sa fille de 11 ans, il y a une dizaine d'années. Depuis, il vit une vie monotone et morose, perdu dans les souvenirs d'un passé aux images émoussées. Pour lui, la vie est de plus en plus fade, plus rien n'a véritablement d'intérêt depuis que sa fille est partie. D'autant plus maintenant qu'il ne parvient plus à se remémorer les traits de son visage. Seul des motifs et l’image de ce vieux pull de laine rouge qu'elle aimait tant lui reviennent. Mais pourquoi ce détail ? Il faut dire qu'il n'a jamais véritablement fait son deuil, ce qui l'a conduit, petit à petit à s'oublier, vivant reclue, aussi bien dans sa vie privé qu'au travail. Mais une nuit, réveillé par un étrange coup de fil où il croit reconnaître la voix de sa fille, sa vie bascule. L'appel lui laisse entrevoir l'espoir de pouvoir peut être la revoir. Il part alors à sa recherche persuadé que la clef de sa réussite réside au cœur d'un labyrinthe dans un livre de jeux qu'elle n'avait pas eu le temps de terminer. C’est pour lui, le début d’une quête fantastique, mystique et cathartique sur les traces de Thésée au sein d'un labyrinthe au-delà du réel.

Un album intégral, édité chez Futuropolis, riche de 256 pages comprenant les cinq numéros de cette mini-série initialement intitulé ""MazeBook" intégralement écrit et dessiné par l'auteur, le tout rassemblé dans un beau format cartonné, comme à l'habitude de l'éditeur. Ici, Jeff Lemire exploite à merveille le potentiel graphique, scénaristique et visuel du jeu des labyrinthes, et plonge le lecteur dans un univers parallèle, comme happé littéralement dans l'esprit de Will. C'est vraiment très beau et bien écrit.
Dans cette histoire originale qui sonne juste, il manie habilement les émotions humaines et nous touche en plein cœur. Un récit puissant sur le deuil, la résilience, mais surtout sur la difficulté que l'on peut avoir à se reconstruire après la disparition d'un être cher. Le récit m'a littéralement emporté, et j'avoue avoir versé quelques larmes à la lecture de cette œuvre singulière.
Un ouvrage de pur Jeff Lemire, tant dans le scénario que dans le trait. L’ensemble est d’une fluidité exemplaire et la mise en image est parfaite. On reconnaît tout de suite le style de l’auteur avec ses dessins esquissé tels des croquis inachevés rehaussés d'aquarelle. Ici, il utilise le lavis de manière judicieuse pour apporter une atmosphère unique à son histoire. Ses teintes, qui oscillent entre le vert pâle et le bleu, lui permettent de jongler habilement entre rêve et réalité. Le découpage maîtrise, et teinté de surréalisme nous permet d'arpenter de façon singulière et intimiste les méandres de la pensée de notre protagoniste. Un père prêt à se lancer comme Thésée dans une quête improbable : retrouver l'être aimé défunt.

Un voyage qui le mènera sur la route de l'acceptation et peut être vers une possible reconstruction. Un récit magnifique qui pour ma part est sans doute l'une de ses meilleurs œuvres. Une histoire intimiste, émouvante et pleine de sincérité. Un album coup de cœur que je vous recommande vivement.