La bande du 9 : La communaut du 9ème art

Alors que le Blitz fait rage dans le ciel de Londres; alors que les habitants vivent un véritable enfer, un vieil homme, que plus rien ne rattache à la vie, et une gamine perdue vont faire un bout de chemin ensemble.
Olivier Grenson signe son œuvre la plus personnelle et un magnifique roman graphique tout en finesse et en sincérité. Une œuvre à partager en somme.
   
Londres, septembre 1940. Depuis leur victoire éclair sur les troupes franco-anglaises, les nazis se sentent pousser des ailes. Hitler est décidé à en finir avec l’Angleterre et il lance son aviation à l’assaut de la capitale britannique. Parmi les Londoniens victimes des vagues successives des bombes de la Luftwaffe se trouvent Isaac. Victime à double titre puisqu’une bombe a frappé une partie de son appartement laissant un trou béant en guise de fenêtre et car Eva, son épouse chérie, n’a pas survécu à cette violence. Pour le jardinier à la retraite, c’est d’avantage qu’il ne peut en supporter et il se laisse tout doucement dériver, espérant ainsi rejoindre rapidement son épouse. Mais un soir de novembre, alors qu’il se rend par habitude dans un refuge, Isaac vient en aide à Mary, une fillette évacuée et perdue qui n’a pu rejoindre sa maman. Dans cet abri, Isaac se sent investi d’une mission : protéger la petite fille de la violence physique et psychologique. Il va donc retrouver l’imagination afin de lui raconter un conte, L’histoire de l’arbre aux 1000 couleurs. Mais en protégeant Mary, Isaac va également réapprendre à vivre...
 
Dans notre monde où résonne les bruits de bottes et où le fracas des bombes à remplacer l’intelligence des diplomates ; on est en droit de se demander à quand notre tour ?  et à quoi bon ? C’est indirectement à ces questions que Olivier Grenson répond à travers ce magnifique roman graphique. Le sens de la vie, Isaac l’a perdu lorsqu’une bombe géante a détruit partiellement son appartement et tué son épouse. Dès lors, le retraité lâche prise, ne descendant dans les refuges du métro que par habitude. Déambulant sans but dans les rues de Londres ravagées, il tombe par hasard sur une petite fille perdue lorsque les sirènes se mettent à hurler. D’instinct, Isaac prend la fillette sous son aile avant de s’apercevoir que sa plaque d’évacuation est illisible. Tout juste réussit-il à lire le nom de la petite fille et le quartier où elle habite. Face au chaos qui règne dans la capitale britannique, Isaac va devoir héberger la jeune Mary jusqu’à ce que les autorités retrouvent sa maman. Afin de lui faire oublier la violence du monde réel ; il imagine un conte aux résonances écologiques et féministes ; un conte qui va servir de refuge pour elle, comme pour lui. Sans obligation de faire rentrer son récit dans un format prédéfini, Olivier Grenson prend son temps, le temps d’installer son décor, de poser ses personnages. A travers eux, c’est nous qui vivons ces heures sombres de Londres. « Du sang, du labeur, des larmes et de la sueur » comme le dit le Premier ministre Churchill. Cette existence est tout en contraste avec l’imaginaire dans laquelle ils vont se réfugier. C’est bien là tout le talent du dessinateur. Lui aussi prend des risques : oubliés les traits tout en fluidité à de Niklos Koda, l’album s’ouvre sur des planches aux traits de crayons osées mais qui renvoient parfaitement à la réalité du Blitz. Cette ambiance, on la retrouve lorsque Isaac nous raconte sa dévastation intérieure et, un peu comme Spielberg, le coloriste y a inséré une petite fille en couleur. Mais le principal contraste tient dans le passage de la réalité au merveilleux. C’est alors une débauche de couleurs chatoyantes, en couleur directe aux crayons ou à l'acrylique. C'est pétillant, c’est vif, c'est plein de vie même si la vie n'est pas si belle qu'elle en a l'air. Ce monde merveilleux est lui aussi victime de violences et d’inégalités mais ses habitants, Jonas puis Rébecca, se battent pour le rendre meilleur.
 
Rarement j’ai lu œuvre si bouleversante : en un claquement de doigts, le temps de tourner une page, le lecteur passe des éclats de rire aux larmes. Comme le dessin est d’une très grande qualité avec une superbe variation des procédés, Le partage des mondes est incontestablement un chef-d’œuvre qu’il faut à tout prix partager.

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